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les docteurs, les évêques, les princes, les rois, l'héritier de saint Pierre lui-même; et tantôt suppliant avec
douleur, tantôt gourmandant avec force, il avait pour tous des prières, des menaces, des larmes et des
châtiments, et faisait sous la bure la police des trônes et des sanctuaires. C'était saint Bernard.
Abélard accuse formellement ces deux hommes d'avoir été, vers l'époque où nous sommes arrivés, les
principaux artisans de ses malheurs[147]. Suivant lui, ces nouveaux apôtres, en qui le monde croyait
beaucoup, allaient prêchant contre lui, répandant tantôt des doutes sur sa foi, tantôt des soupçons sur sa vie,
détournant de lui l'intérêt, la bienveillance et jusqu'à l'amitié, le signalant à la surveillance de l'Église et des
évêques, enfin le minant peu à peu dans l'esprit des fidèles, afin que, le jour venu, il n'y eût plus qu'à le
pousser pour l'abattre. On peut croire que son ressentiment a chargé le tableau; nous verrons quelle fut la
conduite de saint Bernard, lorsque Abélard sera une seconde fois jugé, et cette conduite, nous sommes loin de
l'absoudre. Mais quelques mots des lettres du saint lui-même semblent prouver que jusqu'alors il avait fait
peu d'attention aux opinions du moine philosophe[148]. Au temps de l'enseignement dans la solitude du
Paraclet, de 1122 à 1125, on ne sait même s'il le connaissait personnellement. Mais il pouvait, au moins,
savoir de lui ses plus éclatantes aventures, et elles devaient peu le recommander au grand réformateur des
moines, à l'ami d'Anselme de Laon, de Guillaume de Champeaux, au protecteur d'Albéric de Reims. Lorsque
Abélard écrivit la lettre où il lui donne la première place parmi ses ennemis, il ignorait encore qu'un jour il
l'aurait pour juge, et ne pouvait, en l'accusant, céder au ressentiment contre une persécution future. Quelque
chose les avait donc déjà opposés l'un à l'autre; il avait donc aperçu sous l'indifférence apparente de l'abbé de
Clairvaux des germes d'inimitié, et deviné la persécution dans les actes qui la préparaient.
[Note 147: Ab. Op., ep. I, p. 31. Abélard ne les nomme pas, mais la désignation est claire, et elle a été
constamment appliquée à saint Bernard et à saint Norbert, d'abord par Héloïse, et puis par toutes les autorités,
comme les censeurs de l'édition de d'Amboise, Bayle, Moreri, les auteurs de l'Histoire littéraire, etc.; on est
unanime sur ce point. (Id., ep. II, p. 42 et Censur. Doctor. paris.; Not., p. 1177. Dict. crit., art.
Abélard. Hist. litt., t. XII, p. 95.)]
[Note 148: Saint Bern., Op., ep. CCXXVII.]
Rappelons-nous que Clairvaux n'était pas à une grande distance du Paraclet[149]. Il n'y avait pas dix ans que
saint Bernard, quittant Cîteaux par l'ordre de son abbé, était descendu avec quelques religieux dans ce vallon
sauvage pour y fonder un monastère. En peu de temps il avait réuni dans ce lieu, nommé d'abord la vallée
d'Absinthe, et sous la loi d'une vie sévère et d'une piété ardente, de sombres cénobites qui tremblaient devant
lui de vénération, de crainte et d'amour. Il avait créé là une institution qui, sans être illettrée ni grossière,
contrastait singulièrement avec l'esprit indépendant et raisonneur du Paraclet. Clairvaux renfermait une milice
active et docile dont les membres sacrifiaient toute passion individuelle à l'intérêt de l'Église et à l'oeuvre du
salut. C'étaient des jésuites austères et altiers. Le Paraclet était comme une tribu libre qui campait dans les
champs, retenue par le seul lien du plaisir d'apprendre et d'admirer, de chercher la vérité au spectacle de la
nature, voyant dans la religion une science et un sentiment, non une institution et une cause. C'était quelque
chose comme les solitaires de Port-Royal, moins l'esprit de secte et les doctrines du stoïcisme[150].
[Note 149: Clairvaux, bourg du département de l'Aube, à quinze lieues au delà de Troyes, était une abbaye du
diocèse de Langres, fondée en 1114 ou 1115, par une colonie venue de Cîteaux sous la conduite de saint
Bernard. On l'appelait la troisième fille de Cîteaux. (Gall. Christ., t. IV, p. 706.)]
[Note 150: Cette comparaison ne s'applique évidemment qu'à l'esprit d'indépendance du Paraclet et à sa
situation locale qui rappelle vaguement celle de Port-Royal-des Champs; car rien ne ressemble moins aux
doctrines du jansénisme que celles d'Abélard; et il a rencontré ses juges les plus sévères parmi les calvinistes,
comme ses critiques les plus indulgents parmi les jésuites.]
LIVRE PREMIER. 59
Abelard, Tome I
Deux institutions aussi opposées et aussi voisines, qui toutes deux agissaient sur les imaginations des [ Pobierz caÅ‚ość w formacie PDF ]

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