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notre sensibilité et réussit à nous émouvoir, le reste pourra devenir comique, et
le comique sera en raison directe de la part de raideur qui s y manifestera.
Nous avons formulé cette idée dès le début de notre travail. Nous l avons
vérifiée dans ses principales conséquences. Nous venons de l appliquer à la
définition de la comédie. Nous devons maintenant la serrer de plus près, et
montrer comment elle nous permet de marquer la place exacte de la comédie
au milieu des autres arts.
En un certain sens, on pourrait dire que tout caractère est comique, à la
condition d entendre par caractère ce qu il y a de tout fait dans notre personne,
ce qui est en nous à l état de mécanisme une fois monté, capable de fonc-
tionner automatiquement. Ce sera, si vous voulez, ce par où nous nous
répétons nous-mêmes. Et ce sera aussi, par conséquent, ce par où d autres
pourront nous répéter. Le personnage comique est un type. Inversement, la
ressemblance à un type a quelque chose de comique. Nous pouvons avoir
fréquenté longtemps une personne sans rien découvrir en elle de risible : si
l on profite d un rapprochement accidentel pour lui appliquer le nom connu
d un héros de drame et de roman, pour un instant au moins elle côtoiera à nos
yeux le ridicule. Pourtant ce personnage de roman pourra n être pas comique.
Mais il est comique de lui ressembler. Il est comique de se laisser distraire de
soi-même. Il est comique de venir s insérer, pour ainsi dire, dans un cadre
préparé. Et ce qui est comique par-dessus tout, c est de passer soi-même à
l état de cadre où d autres s inséreront couramment, c est de se solidifier en
caractère.
Peindre des caractères, c est-à-dire des types généraux, voilà donc l objet
de la haute comédie. On l a dit bien des fois. Mais nous tenons à le répéter,
parce que nous estimons que cette formule suffit à définir la comédie. Non
Seulement, en effet, la comédie nous présente des types généraux, mais c est,
à notre avis, le seul de tous les arts qui vise au général, de sorte que lorsqu une
fois on lui a assigné ce but, on a dit ce qu elle est, et ce que le reste ne peut
pas être. Pour prouver que telle est bien l essence de la comédie, et qu elle
s oppose par là à la tragédie, au drame, aux autres formes de l art, il faudrait
commencer par définir l art dans ce qu il a de plus élevé : alors, descendant
peu à peu à la poésie comique, on verrait qu elle est placée aux confins de
l art et de la vie, et qu elle tranche, par son caractère de généralité, sur le reste
Henri Bergson, Le rire. Essai sur la signification du comique (1900) 66
des arts. Nous ne pouvons nous lancer ici dans une étude aussi vaste. Force
nous est bien pourtant d en esquisser le plan, sous peine de négliger ce qu il y
a d essentiel, selon nous, dans le théâtre comique.
Quel est l objet de l art ? Si la réalité venait frapper directement nos sens
et notre conscience, si nous pouvions entrer en communication immédiate
avec les choses et avec nous-mêmes, je crois bien que l art serait inutile, ou
plutôt que nous serions tous artistes, car notre âme vibrerait alors continuelle-
ment à l unisson de la nature. Nos yeux, aidés de notre mémoire, découpe-
raient dans l espace et fixeraient dans le temps des tableaux inimitables. Notre
regard saisirait au passage, sculptés dans le marbre vivant du corps humain,
des fragments de statue aussi beaux que ceux de la statuaire antique. Nous
entendrions chanter au fond de nos âmes, comme une musique quelquefois
gaie, plus souvent plaintive, toujours originale, la mélodie ininterrompue de
notre vie intérieure. Tout cela est autour de nous, tout cela est en nous, et
pourtant rien de tout cela n est perçu par nous distinctement. Entre la nature et
nous, que dis-je ? entre nous et notre propre conscience, un voile s interpose,
voile épais pour le commun des hommes, voile léger, presque transparent,
pour l artiste et le poète. Quelle fée a tissé ce voile ? Fut-ce par malice ou par
amitié ? Il fallait vivre, et la vie exige que nous appréhendions les choses dans
le rapport qu elles ont à nos besoins. Vivre consiste à agir. Vivre, c est
n accepter des objets que l impression utile pour y répondre par des réactions
appropriées : les autres impressions doivent s obscurcir ou ne nous arriver que
confusément. Je regarde et je crois voir, j écoute et je crois entendre, je m étu-
die et je crois lire dans le fond de mon cSur. Mais ce que je vois et ce que
j entends du monde extérieur, c est simplement ce que mes sens en extraient
pour éclairer ma conduite ; ce que je connais de moi-même, c est ce qui
affleure à la surface, ce qui prend part à l action. Mes sens et ma conscience
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