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Alain (Émile Chartier), Le citoyen contre les pouvoirs (1926) 57
L'Art Militaire donne quelque sentiment de la Cérémonie véritable par des Céré-
monies préparatoires, qui font déjà sentir à l'Homme, par l'action et le spectacle, qu'il
est plus courageux qu'il ne croit.
Si quelque peuple doute de son voisin jusqu'à le mépriser en parole et en action, il
doit se prêter à l'Épreuve. Plus il est supposé courageux et fort, plus l'Épreuve est
bonne. L'Estime pour l'ennemi est le sel de la guerre.
La Victoire termine l'Épreuve ; mais l'épreuve est bonne aussi pour le vaincu, dès
que la guerre a été aussi longue et meurtrière qu'on pouvait l'attendre. Les deux
adversaires sont réhabilités.
Par ces raisons, tous les hommes dignes du nom d'homme courent à la guerre au
premier appel, quelle que soit leur opinion sur la Guerre.
L'Art militaire exerce sa contrainte sur tous. Tous la subissent impatiemment,
mais viennent toujours à la célébrer comme un bien, lorsqu'ils songent aux vertus
étonnantes et aux actions difficiles où la contrainte les a conduits.
L'Honneur est ainsi le véritable ressort des guerres ; ce qui ne laisse qu'un faible
espoir aux amis de la Paix. Toutefois, comme les guerres ne se produisent que par la
double préparation des Politiques et des Grands Chefs, que l'ambition pousse et que
la gloire attire, ce serait un important résultat, et peut-être décisif, si le tribunal
d'honneur, qui est composé de l'assemblée des femmes, réservait la louange à ceux
qui payent directement de leur personne, et considérait comme avilis et méprisables
tous ceux, sans exception, qui ont préparé et conduit une guerre sans se porter de leur
propre mouvement au poste le plus pénible et le plus dangereux. Et, puisqu'il est
évident qu'un Chef d'État et qu'un Général doivent être ménagers de leur vie, les
ambitieux ni les violents ne voudraient plus de ces métiers-là.
Alain (Émile Chartier), Le citoyen contre les pouvoirs (1926) 58
Les hypocrisies
de la guerre
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Alain (Émile Chartier), Le citoyen contre les pouvoirs (1926) 59
Les hypocrisies de la guerre
a) Comment l'on voit
la guerre en beau.
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De courageux pamphlétaires ont mis au grand jour l'atroce récit, déjà connu de
beaucoup, d'un général qui, en punition d'une attaque manquée, donna l'ordre à son
artillerie de tirer sur son infanterie ; et autres horreurs. De tels récits ne sont pas
utilisables ; et si l'on compte sur eux pour gagner un point dans une lutte difficile, on
se trompe. L'excès même du tragique détourne de croire. N'oublions pas que les
dehors de la guerre sont pour relever l'âme et la consoler ; tous les lieux communs
visent là. Ceux qui ont su voir la guerre en son vrai visage, et non en son masque, ne
sont point le nombre. Les autres ont pris parti de voir la chose en beau. L'inhumain,
qui est pour les autres une raison de croire, sera pour eux une raison de ne pas croire.
C'est sur les ressorts les plus communs de l'institution qu'il faut instruire, et non sur
l'événement. Encore plus faut-il se garder de détourner l'indignation en accusant un
homme ou un autre. Et c'est un assez fort paradoxe, et qu'il faut conserver en tout son
relief, que la guerre réalise des actions inhumaines et féroces par le ministère
d'hommes qui ne sont ni cruels ni même méchants. Aussi les détourneurs savent bien
louer un général de ce qu'il n'est pas prodigue du sang de ses soldats ; et sans doute
jetteraient-ils une tête ou deux à la foule si elle grondait trop. La guerre n'est pas
déshonorée par un monstre, ni par un fou.
Mais nous n'en sommes point là. Quand vous éveilleriez la fureur et la pitié
jusqu'à obtenir des juges, je dis de vrais juges, vous verriez l'anecdote fondre aux
Alain (Émile Chartier), Le citoyen contre les pouvoirs (1926) 60
débats ; il n'en resterait rien. Comme je disais, tous les documents de guerre sont
rédigés selon le convenable, non selon le vrai. Un homme que je ne crois point
menteur me citait le mot d'un capitaine qui, réglant son tir sur un avion d'après des
estimations tout à fait inexactes, et averti de l'erreur s'écria : « Je tire quand même. »
Le mot est assez beau, si on le comprend par les causes, c'est-à-dire par le jeu des
passions. Mais on ne peut prouver, par témoignages, que ce capitaine méprisait les
observations télémétriques ; en deux minutes l'avion avait effacé l'événement pour
toujours.
Je revois une scène d'observatoire, assez plaisante. La vue était arrêtée à cent
mètres par un brouillard laiteux. Les batteries étaient arrivées de nuit dans un pays
inconnu, en vue d'effectuer un tir de surprise sur un objectif bien déterminé. Il fallait
régler et l'on ne pouvait régler. Comme on n'était plus loin de l'heure fixée, il arriva
de loin en arrière la question d'usage : « Tout est bien prêt ? Vous êtes sûr de votre
réglage ? » Et l'homme naïf, qui guettait depuis le matin sans voir autre chose qu'une
mer de brume, répondit : « Réglage impossible. » « Comment ? dit alors le chef
lointain. Tous les autres groupes ont réglé leur tir. A quoi pensez-vous donc ? » Le
commandant passa par toutes les couleurs ; son visage exprima la surprise, la stupeur,
le doute, le regret. La brume couvrait tout le secteur, et il n'est pas douteux que toutes
les pièces tirèrent à l'aveugle, comme firent les nôtres. Mais l'homme qui n'avait point
su mentir assez tôt faisait figure d'ignorant. Aucune enquête ne prouvera qu'un
brouillard est resté impénétrable depuis le matin jusqu'à quinze heures. Le fait est que
la, briqueterie que l'on visait apparut la même après le tir, quand le brouillard fut
levé ; mais cela arrive aussi quand on y voit clair ; l'artillerie ne touche pas où elle
veut, si ce n'est dans les rapports d'artilleurs. De telles anecdotes, et tant d'autres, plus
tragiques, ne font qu'éclairer le possible, si elles conduisent à remarquer quelques
traits de la nature humaine, confirmé par les observations de chacun ; mais c'est
d'après l'idée que l'on se fait du possible, du commun, de l'humain, qu'on les juge
vraies ou fausses. Ce qui étonne n'instruit jamais.
Alain (Émile Chartier), Le citoyen contre les pouvoirs (1926) 61
Les hypocrisies de la guerre
b) L'hypocrisie des gouvernants.
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D'après les travaux de la Société d'études documentaires, on voit se dessiner le
Grand Procès où la Ligue des Droits de ]'Homme devrait jouer le rôle de ministère
public. Chacun sait que le 30 juillet de l'année quatorze, à quatre heures du soir, heure
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